95 % des juristes et avocats en ont déjà entendu parler1. Mais son usage dans le domaine juridique soulève des questions bien spécifiques : fiabilité, déontologie, compétitivité des cabinets… Pour y répondre, Lamy Liaisons a souhaité consulter les premiers professionnels concernés, juristes et avocats. Un sondage, réalisé par notre partenaire OpinionWay, fait l’état des lieux de l’usage de l’IA générative dans le monde juridique. Une transformation profonde des métiers est-elle en cours ?
L’arrivée de technologies grand public comme ChatGPT d’OpenAI a propulsé l’intelligence artificielle (IA) générative sous les projecteurs. Dans le monde du droit, les legaltech se sont rapidement emparées de la question. D’ailleurs, l’utilisation de l’IA dans le domaine n’est pas nouvelle : la justice prédictive (ou analyse prédictive des décisions de justice fondée sur des calculs de probabilité) est un outil dont disposent les avocats et juristes depuis des années.
L’intelligence artificielle renvoie en réalité à plusieurs modèles :
Enfin, l’IA générative se distingue par sa capacité à générer du texte, des images, ou d’autres médias à partir d’éléments existants. Ces systèmes sont basés sur de grands modèles linguistiques (LLM). Ils génèrent des contenus en réponse à des demandes spécifiques (prompts). Ils fonctionnent sur un principe de probabilité, sélectionnant les réponses les plus probables basées sur les données d’apprentissage disponibles.
Selon une étude de 2023 menée par Goldman Sachs, jusqu’à 44 % des tâches effectuées par les professionnels du droit pourraient bientôt être prises en charge par l’intelligence artificielle générative2. Mais quel peut être l’impact réel de l’IA dans les métiers d’avocat et de juriste ?
Dans le domaine juridique, l’intelligence artificielle générative a déjà conquis les professionnels : 64 % des avocats et juristes l’utilisent régulièrement pour effectuer des recherches juridiques1. Son usage n’est pas si surprenant, quand on connaît l’ampleur de l’open data3. Avec un volume de contenu juridique en croissance exponentielle (on estime à 3 millions le nombre de décisions rendues annuellement par les juridictions françaises4) l’IA générative se présente comme un outil séduisant.
Son avantage ? Une capacité à analyser et synthétiser d’immenses bases de données jurisprudentielles ou réglementaires. Elle simplifie l’extraction d’informations pertinentes, offre des résumés, voire des recommandations contextualisées. Mieux, son interface conversationnelle facilite l’accessibilité et transforme la recherche classique en interaction avec l’outil.
Il n’y a plus de doute : l’IA générative peut transformer les méthodes de travail traditionnelles en automatisant des tâches simples, mais chronophages. C’est d’ailleurs la principale source de satisfaction pour ses utilisateurs. Par exemple, l’analyse de documents volumineux, comme les gros corpus de contrats, se veut plus rapide. En outre, les outils d’IA générative effectuent aussi des analyses de conformité. L’objectif ? Réduire le risque d’erreurs humaines.
L’IA générative a par ailleurs la capacité de gérer des traductions précises. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives pour les cabinets œuvrant à l’international. Un autre usage, et non des moindres, est celui d’assistant dans la relation client. Les juristes sont par exemple 46 % à l’utiliser pour rédiger des e-mails1. Il s’agit d’une réelle évolution vers une pratique juridique plus agile et réactive.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans la rédaction d’actes juridiques est au cœur du business model de certaines legaltech. L’idée ? Automatiser le service juridique. La rédaction de documents (contrats, actes…) est à la fois complexe et chronophage. L’IA générative permet désormais de créer ces documents de manière personnalisée et conforme aux normes en vigueur. Là encore, la précision est accrue par l’utilisation de la technologie.
L’utilisation de l’intelligence artificielle générative dans le secteur juridique suscite débats et controverses. D’ailleurs, 14 % des avocats et juristes se déclarent satisfaits de son utilisation1. Les préoccupations en matière d’éthique ou de fiabilité de l’outil sont réelles.
Il ne faut pas l’oublier : l’IA générative est développée sur un modèle statistique. Elle ne peut pas faire de distinction réelle entre ce qui est vraisemblable et ce qui est juste. Oui, l’IA est capable de fournir des résultats plausibles. Mais elle est aussi sujette à des « hallucinations », où des informations incorrectes, inventées, sont présentées comme des faits.
Une autre question soulevée par les professionnels est celle de la gestion des sources. Une IA est entraînée sur des bases de données fournies. De ce fait, la qualité des données, leur actualité et leur fiabilité sont des facteurs déterminants pour la justesse des informations produites. Si les sources sont obsolètes, incomplètes ou peu fiables, les résultats seront logiquement affectés. Cette dépendance vis-à-vis des données d’entraînement souligne une chose : l’importance d’une validation humaine rigoureuse.
L’intelligence artificielle générative ne peut pas, à ce jour, rivaliser avec les métiers de juriste ou d’avocat. Ces professions ne reposent pas uniquement sur des compétences techniques. L’IA générative peut assister efficacement ces professionnels en automatisant certaines tâches, mais elle ne peut pas remplacer le savoir-faire humain, le discernement et l’expertise.
Dans le domaine juridique, où les nuances et les interprétations subtiles sont fréquentes, l’œil aiguisé, l’expérience d’un professionnel restent indispensables. Les juristes et avocats sont les garants d’un système juridique dynamique, capable de s’adapter et d’évoluer, notamment à travers les revirements de jurisprudence. L’IA générative peut par conséquent devenir un outil complémentaire, sans pour autant supplanter les professionnels dans la prise de décision.
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine juridique soulève des questions éthiques pour 55 % des avocats et 47 % des juristes1. Au cœur de ces interrogations se trouvent plusieurs enjeux :
Contrairement aux avocats, l’IA ne prête pas serment ! Elle opère sans réelle contrainte déontologique. Les doutes quant à sa capacité à préserver la confidentialité et l’intégrité des informations sensibles sont de ce fait parfaitement légitimes à l’heure actuelle. D’ailleurs, la confiance entre un avocat et son client est au cœur de leur relation. L’intégration de l’IA doit être abordée avec prudence.
Face à l’avènement de l’intelligence artificielle générative, les professionnels du droit se trouvent à un carrefour similaire à l’ère des débuts d’Internet. Ils peuvent choisir d’embrasser cette technologie, en prenant les précautions nécessaires, ou de la rejeter. Mais en réalité, c’est la question de la fiabilité qui est au cœur du déploiement de l’IA. 71 % des avocats et juristes interrogés auraient confiance en une IA générative développée par des legaltech ou des éditeurs juridiques1.
Pour les éditeurs juridiques, le développement d’outils d’intelligence artificielle générative spécialisés devient un impératif stratégique. Contrairement à l’IA généraliste portant sur l’ensemble des données du web, l’IA spécifique au domaine juridique opère sur un corpus fini de textes et de jurisprudences. En étant régulièrement formée et mise à jour avec de nouvelles données, une IA spécialisée réduirait significativement les risques d’« hallucinations ».
Une transparence rigoureuse dans la gestion des bases de données et la protection de la confidentialité sera essentielle. De quoi s’assurer non seulement de la fiabilité de l’information produite, mais aussi obtenir la confiance des utilisateurs à l’égard de ces outils technologiques.
Avec un investissement de l’État de 2,2 milliards d’euros pour l’IA, dont 700 millions spécifiquement destinés à la formation, l’accent est mis sur l’acquisition de compétences dans le domaine5. Cette formation sera indispensable pour les avocats et juristes souhaitant faire usage de l’IA générative. Au programme : l’utilisation de legal prompts, la compréhension approfondie du fonctionnement de l’IA et une analyse critique de ses résultats. Seule contrainte : le manque de temps affiché par les professionnels (celui auquel l’IA générative tente justement de répondre).
L’adoption de l’IA Act et la mise en place d’une réglementation européenne autour de l’IA pourraient renforcer la confiance des juristes et avocats dans l’utilisation professionnelle de ces technologies. Quoi qu’il en soit, cette évolution des usages de la technologie souligne la nécessité, pour les professionnels du droit, de redéfinir leur valeur ajoutée dans le paysage juridique.
Sources :
1 3 professionnels du droit sur 10 utilisent l’IA au travail selon un sondage OpinionWay pour Lamy Liaisons
2 The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic Growth (Briggs/Kodnani)
3 LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (1)
4 Open data des décisions de justice
5 France 2030 : Emmanuel Macron annonce un effort sans précédent de la France en intelligence artificielle
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